SCHLINGUERIES

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A la recherche d’une raison profonde, d’une logique implacable.

« Être per­suadé du contraire » est sans aucun doute le leit­mo­tiv des « Schlingueries ». En un sens le non sens est de mise. Les tor­sions appor­tées au lan­gage ddsc_0404-fac51evien­nent des contor­sions aiguës de la pensée. Les choses sont, ou bien immé­dia­tes, ou bien déca­lées dans le temps. Le lan­gage est un déver­se­ment inu­tile que pré­cède aus­si­tôt un trou noir. L’auteur ne tente pas de défi­nir une cari­ca­ture réa­liste d’une situa­tion ennuyeuse mais reprend à zéro les monu­ments obser­va­bles du lan­gage. Cela a pour consé­quence de déso­rien­ter l’acteur de ses manies intrin­sè­ques, de dis­sé­quer le clair obscur de ses chairs pro­tec­tri­ces. Tant soit peu, l’acteur a des opi­nions. Ici la force fait loi et obli­ga­tion. Le texte ne tente pas de servir les obéis­san­ces ras­su­ran­tes de l’acteur mais de rabrouer les par­ties inu­ti­les de son conser­va­tisme et de son savoir. Dans les « Shlingueries » l’acteur n’est pas là pour rigo­ler. Il est là pour pour­fen­dre son égotisme, son mal être. A demi mot l’auteur adresse au spec­ta­teur un ordre qui prend sa source dans le désor­dre de la struc­ture offi­cielle de la pensée théâ­trale. Il tente de tordre par l’absurde la poutre métal­li­que de la repré­sen­ta­tion.

 

 

 

Un acteur parle aux acteurs.

Un glis­se­ment de per­son­na­ges se fait enten­dre comme une odeur putride. Les cor­res­pon­dan­ces concrè­tes dés­ta­bi­li­sent le regard du spec­ta­teur. L’espace scé­ni­que n’est pas un ter­rain à pren­dre mais un carré fon­da­men­tal et puant. L’acteur n’entre pas sur la scène pour mar­cher sur l’eau mais pour sentir qu’il est dans ldsc_0338-3e294a merde. C’est-à-dire que le propos n’est pas de donner à voir l’atti­tude nar­cis­si­que de nos chers comé­diens mais de mon­trer com­ment ils se cas­sent. Cependant, l’obli­que de la mise en scène fait rire le spec­ta­teur. Il y a quel­que chose qui tient de la ten­ta­tive du domp­teur acteur dans la cage. D’une main l’acteur tient le fouet, de l’autre un bâton planté d’un bout de viande. L’acteur n’avance pas sur la scène, il recule. Le parti pris des « Schlingueries » n’est pas un idéal de pro­preté théâ­trale mais une inter­jec­tion futile d’acteurs pré­sents. La scé­no­gra­phie.

Un pla­teau carré en bois. Au dessus du pla­teau une guir­lande d’ampou­les rouges. Des bou­gies rouges en avant scène. En fond de scène, des para­vents.

En quoi et pour­quoi un carré devient-il vivant ? Il n’est qu’une plaque de bois. Mais voici qu’une sen­teur lumi­neuse saigne le décor. C’est de la lumière que je parle. Elle per­son­ni­fie non pas le cadre mais les sub­stan­ces frois­sées d’un vieux bal cra­moisi. Alors le pla­teau n’est pas une ouver­ture, il est un laby­rin­the de ruel­les ano­ny­mes par où l’on passe, par où l’on s’immisce. Seule une atti­tude mili­ta­riste de bou­gies nous barre le pas­sage. Ces bou­gies « Sébastianise » le pla­teau en flè­ches.

 

L’acteur joue des personnages, il ne doit rien faire d’autre. Il ne doit pas faire l’intelligent.

C’est en partie dans l’acte du cru­ci­fix qu’appa­raît l’acteur por­teur. Il ne tient pas en équilibre cet enfant sor­dide, ce bébé grin­cheux. Moi, je le dévoile ten­dre­ment. Et puis voilà, il pleure, il se moque, il s’api­toie. Il croit qu’il est le fait exprès d’un malen­tendu. Mais ce n’est plus l’acteur qui parle qui se « déschlin­gue » c’est l’autre, l’émanation du per­son­nage qui fait sur­face. Les acteurs dans nos « Schlingueries » sont des lima­ces géan­tes qui croient en l’homme. Je me four­voie à leur défaire le nœud magi­que, la parole. A demi mot l’acteur créer l’absence de la ten­ta­tion. Il per­suade le spec­ta­teur d’ être là. Dans les « Schlingueries » l’acteur apprend à coudre. Il est comme un fil dans une étoffe qui fait appa­raî­tre et dis­pa­raî­tre la vision concrète de la parole.

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Une absurdité humaine et drôle.

Une ronde inces­sante court sur le pla­teau. Elle tour­billonne, chute et rechute. Nous sommes dans un chaos inso­lu­ble de par­ti­cu­les ali­men­tai­res. Des dis­sen­sions nais­sent de ci de là, des méan­dres incons­cients, des monu­ments ver­baux et auto­ma­ti­ques.

1 VIEILLE : Les mésan­ges ont réel­le­ment les ailes trop cour­tes !
2 VIEILLE : C’est en partie vrai.
1 VIEILLE : Que voulez- vous dire ?
2 VIEILLE : Les cro­co­di­les ont une queue bien trop longue par rap­port au reste de leur corps. C’est tout ce que je vou­lais dire.
1 VIEILLE : Idem.
2 VIEILLE : Exact.
( Extrait « Les deux vieilles » )

Un chien entre. L’acteur sait qu’il est un chien. Cependant très vite il est le mari.
LA FEMME : C’est affreux… la mère de mon chien est morte… !
LE MARI : A quelle heure ?
LA FEMME : Je ne sais pas, c’était hier. Que fais-tu à quatre pattes ?
LE MARI : Le chien de ta mère.
LA FEMME : (Surprise) Tiens… ma mère est morte ?
( « Le chien. » )

Les « Schlingueries » sont une cara­pace infer­nale recou­verte de détri­tus mor­bi­des. Elles bri­sent, elles cas­sent, elles font enfler l’ins­tant pré­sent. Les « Schlingueries » ne dévoi­lent pas une sou­ri­cière mais plutôt un trou à rat. Elles tor­dent en extrême limite un fatras fati­di­que.

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Faire de l’absurdité burlesque une dynamique vivante.

« L’égotisme théâ­tral est une merde ances­trale. Ainsi je me pour­voie en cas­tra­tion. » Les « Schlingueries » sont des rési­dus ato­mi­ques de Fukushima. Ici on ne remonte pas le cou­rant théâ­tral, on y plonge dedans comme dans une fosse scep­ti­que. Un temps, il y a un temps, puis il y a une direc­tion. Ce qui est Schlingué est dit à mot et demi. Dans ce spec­ta­cle on n’est pas tra­versé par un monde mer­veilleux et joviale mais par une incer­ti­tude médi­cale, une méde­cine absurde et drôle.

Pourquoi monter ce projet ? Pour éviter de ce faire empor­ter par un tsu­nami debout.

Révéler l’absurdité en riant.

L’utopie théâ­trale a des limi­tes. Cependant elle tente tou­jours de se révé­ler en des cer­ti­tu­des égoïstes et maca­bres. Dans nos « Schlingueries » l’utopie est inver­sée en réa­lité concrète, elle devient trip idiot. Nos per­son­na­ges mal­chan­ceux n’ont aucun regard cri­ti­que. Ils ne peu­vent pas se défen­dre. Leurs cer­ti­tu­des ont les limi­tes de leur intel­li­gence. Pour le public, le rire ne pro­vient pas d’une com­pré­hen­sion immé­diate et lucide mais d’une inten­tion réduc­trice d’être soi même une tache absurde. Le mys­tère de l’incom­pré­hen­si­bi­lité fait son chemin et laisse ouvert le rire vivant.

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