SCHLINGUERIES
- L’esprit de l’auteur.
- L’esprit de la mise en scène
- L’orientation du jeu des acteurs.
- L’atmosphère qui s’en dégage.
- Pourquoi monter ce projet.
- Comment faire partager ce projet.
A la recherche d’une raison profonde, d’une logique implacable.
« Être persuadé du contraire » est sans aucun doute le leitmotiv des « Schlingueries ». En un sens le non sens est de mise. Les torsions apportées au langage deviennent des contorsions aiguës de la pensée. Les choses sont, ou bien immédiates, ou bien décalées dans le temps. Le langage est un déversement inutile que précède aussitôt un trou noir. L’auteur ne tente pas de définir une caricature réaliste d’une situation ennuyeuse mais reprend à zéro les monuments observables du langage. Cela a pour conséquence de désorienter l’acteur de ses manies intrinsèques, de disséquer le clair obscur de ses chairs protectrices. Tant soit peu, l’acteur a des opinions. Ici la force fait loi et obligation. Le texte ne tente pas de servir les obéissances rassurantes de l’acteur mais de rabrouer les parties inutiles de son conservatisme et de son savoir. Dans les « Shlingueries » l’acteur n’est pas là pour rigoler. Il est là pour pourfendre son égotisme, son mal être. A demi mot l’auteur adresse au spectateur un ordre qui prend sa source dans le désordre de la structure officielle de la pensée théâtrale. Il tente de tordre par l’absurde la poutre métallique de la représentation.
Un acteur parle aux acteurs.
Un glissement de personnages se fait entendre comme une odeur putride. Les correspondances concrètes déstabilisent le regard du spectateur. L’espace scénique n’est pas un terrain à prendre mais un carré fondamental et puant. L’acteur n’entre pas sur la scène pour marcher sur l’eau mais pour sentir qu’il est dans la merde. C’est-à-dire que le propos n’est pas de donner à voir l’attitude narcissique de nos chers comédiens mais de montrer comment ils se cassent. Cependant, l’oblique de la mise en scène fait rire le spectateur. Il y a quelque chose qui tient de la tentative du dompteur acteur dans la cage. D’une main l’acteur tient le fouet, de l’autre un bâton planté d’un bout de viande. L’acteur n’avance pas sur la scène, il recule. Le parti pris des « Schlingueries » n’est pas un idéal de propreté théâtrale mais une interjection futile d’acteurs présents. La scénographie.
Un plateau carré en bois. Au dessus du plateau une guirlande d’ampoules rouges. Des bougies rouges en avant scène. En fond de scène, des paravents.
En quoi et pourquoi un carré devient-il vivant ? Il n’est qu’une plaque de bois. Mais voici qu’une senteur lumineuse saigne le décor. C’est de la lumière que je parle. Elle personnifie non pas le cadre mais les substances froissées d’un vieux bal cramoisi. Alors le plateau n’est pas une ouverture, il est un labyrinthe de ruelles anonymes par où l’on passe, par où l’on s’immisce. Seule une attitude militariste de bougies nous barre le passage. Ces bougies « Sébastianise » le plateau en flèches.
L’acteur joue des personnages, il ne doit rien faire d’autre. Il ne doit pas faire l’intelligent.
C’est en partie dans l’acte du crucifix qu’apparaît l’acteur porteur. Il ne tient pas en équilibre cet enfant sordide, ce bébé grincheux. Moi, je le dévoile tendrement. Et puis voilà, il pleure, il se moque, il s’apitoie. Il croit qu’il est le fait exprès d’un malentendu. Mais ce n’est plus l’acteur qui parle qui se « déschlingue » c’est l’autre, l’émanation du personnage qui fait surface. Les acteurs dans nos « Schlingueries » sont des limaces géantes qui croient en l’homme. Je me fourvoie à leur défaire le nœud magique, la parole. A demi mot l’acteur créer l’absence de la tentation. Il persuade le spectateur d’ être là. Dans les « Schlingueries » l’acteur apprend à coudre. Il est comme un fil dans une étoffe qui fait apparaître et disparaître la vision concrète de la parole.
Une absurdité humaine et drôle.
Une ronde incessante court sur le plateau. Elle tourbillonne, chute et rechute. Nous sommes dans un chaos insoluble de particules alimentaires. Des dissensions naissent de ci de là, des méandres inconscients, des monuments verbaux et automatiques.
1 VIEILLE : Les mésanges ont réellement les ailes trop courtes !
2 VIEILLE : C’est en partie vrai.
1 VIEILLE : Que voulez- vous dire ?
2 VIEILLE : Les crocodiles ont une queue bien trop longue par rapport au reste de leur corps. C’est tout ce que je voulais dire.
1 VIEILLE : Idem.
2 VIEILLE : Exact.
( Extrait « Les deux vieilles » )
Un chien entre. L’acteur sait qu’il est un chien. Cependant très vite il est le mari.
LA FEMME : C’est affreux… la mère de mon chien est morte… !
LE MARI : A quelle heure ?
LA FEMME : Je ne sais pas, c’était hier. Que fais-tu à quatre pattes ?
LE MARI : Le chien de ta mère.
LA FEMME : (Surprise) Tiens… ma mère est morte ?
( « Le chien. » )
Les « Schlingueries » sont une carapace infernale recouverte de détritus morbides. Elles brisent, elles cassent, elles font enfler l’instant présent. Les « Schlingueries » ne dévoilent pas une souricière mais plutôt un trou à rat. Elles tordent en extrême limite un fatras fatidique.
Faire de l’absurdité burlesque une dynamique vivante.
« L’égotisme théâtral est une merde ancestrale. Ainsi je me pourvoie en castration. » Les « Schlingueries » sont des résidus atomiques de Fukushima. Ici on ne remonte pas le courant théâtral, on y plonge dedans comme dans une fosse sceptique. Un temps, il y a un temps, puis il y a une direction. Ce qui est Schlingué est dit à mot et demi. Dans ce spectacle on n’est pas traversé par un monde merveilleux et joviale mais par une incertitude médicale, une médecine absurde et drôle.
Pourquoi monter ce projet ? Pour éviter de ce faire emporter par un tsunami debout.
Révéler l’absurdité en riant.
L’utopie théâtrale a des limites. Cependant elle tente toujours de se révéler en des certitudes égoïstes et macabres. Dans nos « Schlingueries » l’utopie est inversée en réalité concrète, elle devient trip idiot. Nos personnages malchanceux n’ont aucun regard critique. Ils ne peuvent pas se défendre. Leurs certitudes ont les limites de leur intelligence. Pour le public, le rire ne provient pas d’une compréhension immédiate et lucide mais d’une intention réductrice d’être soi même une tache absurde. Le mystère de l’incompréhensibilité fait son chemin et laisse ouvert le rire vivant.