UBU A LA RUE
Création du Théâtre de l’Acte :
UBU A LA RUE
D’après Alfred Jarry
- Mise en scène et scénographie : Michel Mathieu
- Musique (live) : Michel Doneda
- Conception des machines : Pierre Dequivre
- Costumes : Nathalie Guillot
- Avec :
Naïma Ben Kerza
Christian Duval
Cara Friedrich
Pascale Karamazov
Anna Koltek
Alex Moreù
Pierrot Nauche
Joëlle Pressnitzer
Jacques Reynal
Vincent Rodier
Bénédicte Rossignol
Quentin Siesling
Ingrid Wessler
- Public : tous publics
- Durée : environ 1h30
Certes, les interprétations du personnage et de son œuvre la plus connue : Ubu roi, tirent la vénérable personne dans tous les sens ; on l’a vu transformé en agrume par le Nada Théâtre, habillé en petit bourgeois dans une approche réaliste.
Il a pu ressusciter en une sorte d’anarchiste libérateur chez Sobel, quand il ne sert pas à dénoncer toutes les aventures totalitaires, tantôt figurées par un acteur au sang chaud, tantôt sous forme d’un pantin de bois… sans parler de l’usage de son nom qui va caractériser aussi bien l’absurdité que la férocité arbitraire – ce qui n’est pas antinomique…
Il faut néanmoins se souvenir qu’à l’origine, cette œuvre collective de potaches rennais, puisque Jarry encore au Lycée s’associa avec deux condisciples, les frères Morin, pour écrire et représenter la première mouture : Les Polonais – fut jouée par des marionnettes, et cela n’est pas innocent.
En effet, par rapport à son époque qui voit le triomphe du réalisme d’un côté (Théâtre-Antoine), du symbolisme de l’autre, le choix initial de ce médium est lourd de signification.
Quand Jarry reprendra le texte, qu’il développera dans la forme définitive au Théâtre de l’Œuvre, il en fera une machine de guerre contre le théâtre de son temps, non seulement par la langue, les situations et l’absurdité réjouissante et destructrice du dialogue, mais aussi par les formes du jeu et du décor qu’il va initier, au grand scandale d’une partie importante du public : usage de mannequins pour figurer les nobles, de masques pour les acteurs, et la musique de Claude Terrasse avec sa chanson du décervelage qui clôt la pièce… On voit qu’on est plus proche des pantins originels que des personnages de Sardou, de Becque ou dans un autre sens des créatures idéales de Maeterlinck.
1 – Hachis d’aliments (viandes ou autres) servant à farcir.
2 – Petit intermède comique introduit dans une pièce sérieuse. Petit Robert En fait, nous voulons avec Ubu mettre la farce dans la farce, ou plutôt traiter le 2 (l’intermède comique) sur le mode du 1 (hachis d’aliments). Nous refusons à une lecture unique de la pièce et du personnage titre ; il n’y aura pas ici de lecture linéaire ; notre Ubu est aussi bien le dictateur de référence pour tous ses épigones, que l’enfant bloqué au stade anal, l’anarchiste total (sauf l’éthique) qui ne connaît que ses pulsions, que l’histrion qui se joue de toutes les situations.
De la même façon la pièce tourne tour à tour à la bouffonnerie, au drame, à la satyre sociale… quitte à intégrer au passage des références à notre propre actualité… réactualisation qu’effectuait Jarry lui-même.
S’il est aujourd’hui une autre esthétique théâtrale qui ne supporte pas les subtilités psychologiques, c’est le théâtre de rue ; ici tout doit être signe, efficacité – même onirique –, rapidité. Porté vers l’extériorisation le geste urbain doit être direct et tranché, aller à l’essentiel… D’une certaine manière, paradoxalement la rue peut être imaginée comme une extension du castelet, sauf que si le castelet est forcément fixe, la rue est, elle, forcément mobile… Or dans Ubu ça bouge : l’action se déplace sans arrêt, de la maison d’Ubu au Palais de Venceslas, de la place des exécutions à une caverne dans les montagnes, de la plaine polonaise au bateau qui ramène les Ubus de la Baltique à la douce France… Raison essentielle pour poursuivre notre pratique de balade, et s’appuyer sur la topologie de la ville ou du village pour faire rendre aux avatars grotesques du gros bonhomme tout leur jus.
Du côté des formes, on va chercher les rebuts. Ubu est un peu notre refoulé, le monstre innocent qui sommeille au fond de chacun de nous. Pour le vêtir on ira donc chercher les restes, les restes de notre société de consommation… rejets de plastique et de ferraille, tuyaux et cartons, cageots, bouteilles et chambres à air…bref tout ce dont une décharge bien achalandée avant recyclage peut témoigner de notre idéal civilisateur. Avec ça on fabriquera aussi des machines, roulantes et pétaradantes, le croc à phynance, le cheval à phynance ou la machine à décerveler… Déchet sonore également : intégrés aux costumes des transistors à pile qui feront musique d’ambiance en cumulant leurs émissions… nonobstant le saxophone soprano de Michel Doneda, qui donnera aux oreilles des spectateurs les stridences souhaitées.
Ce retraitement très écologique des déchets, nous le voulons haut en couleur pour porter, au grand dam des rentiers, bien au-dessus de sa « gidouille », l’oriflamme du père Ubu.